Une nouvelle journée d'apprentissage en service d'urologie. Une nouvelle leçon tirée du travail en service. Alors, voilà le fruit de ma leçon du jour. Une jeune infirmière, me hèle dans une chambre alors que je suis en train de refaire un lit avec Sophie, une autre étudiante en soins infirmiers.
- "Eh Tof, j'suis débordée, tu veux pas m'aider j'vais jamais m'en sortir... Tu veux pas aller piquer le bilan de Monsieur S à la chambre 48, il part au bloc à 11 heures et le bilan n'a pas été fait..."
Il est 10 heures alors que fait un étudiant infirmier devant une infirmière qui demande de l'aide ??!... Il y va ! Enfin j'ai qd même fini le lit avec Sophie et j'y suis allé.
- "Je t'ai TOUT préparé sur un plateau : tubes, aiguilles, vacutenair, compresses... tu n'a plus que les gants à prendre et le contenair à aiguilles."
J'allais quitter la salle de soin, qd elle rajoute
"Je te prépare les étiquettes."
J'arrive dans la chambre du patient, super il n'est pas difficile à piquer, il est en plus aphasique donc il ne peut même pas se plaindre si je lui fais mal... enfin, y peut pas se plaindre, mais il peut toujours m'en coller une... je pose le garrot, je sens bien la veine, je dépose le garrot, j'assemble mon matériel, je m'installe confortablement, mon patient est bien en sécurité sur le dos dans son lit, un coup de clinogel sur mes pattes de devant toutes irritées par le froid extérieur et les nombreux lavages de mains, je frotte bien partout, j'm'en colle même sous les ongles courts et propres (!!), j'ouvre mon paquet de compresses, je le "mouille" de biseptine, je désinfecte la peau du patient au niveau du pli du coude en faisant un escargot, je m'applique, je remets mon garrots et là... merde j'avais déjà pas de set de protection (le petit carré bleu plastifié dessous, qu'on utilise au cas où la boucherie serait à l'ordre du jour...). Qu'à cela ne tienne après tout l'alèse centrale vient d'être changée mais je travaille normalement plutôt proprement, alors pas grave que je me dis... on va y aller, je retouche un coup la veine, bien belle, turgescente, rebiseptine, gants et on y va. 1 tube mauve, 2ème tube mauve, 1 tube jaune, 2ème tube jaune, 1 tube rouge, 2ème tube rouge et je dis à Monsieur S. : "ca y est, c'est presque terminé..." je desserre mon garrot, je plie ma compresse que j'appose juste au dessus de l'aiguille et je dépique, tout s'est bien passé, Monsieur S. m'aide même en effectuant lui même la compression sur le morceau de gaze sec. Là, ca va toujours bien, sauf que sur le plateau tout prêt que m'a donné l'infirmière en mal d'aide... y'a pas de pansement. Bon je mettrais du sparadrap, sur la compresse... toujours pas grave j'en ai dans la poche... je prends les étiquettes que j'ai embarquées dans le dossier du patient histoire de ne pas mélanger les tubes et je demande au patient aphasique : "vous êtes bien Monsieur S, il confirme d'un signe de tête, vous vous prénommez bien Charles-Henri (par exemple... n'oublions pas la confidentialité)..., reconfirmation, et vous êtes né le ??/12/?? (?? ché plus j'ai aucune mémoire des chiffres... mais je me souviens qd même que c'était près de noël... donc en décembre...). Et tout va bien, tout le monde est content et moi aussi... J'arrive en salle de soin, là, sur la paillasse (pas un lit, je parle du plan de travail...) m'attend une planche d'étiquettes. Je m'approche, jette un œil, S. Charles-Henri, date de naissance et toute une palanquée de chiffres, codes, abréviations et en haut à droite des étiquettes trois lettres qui indiquent la couleur du tube à prélever... c'est à ce moment précis que mes trois neurones en fonction virent au rouge....Putain j'ai prélevé 6 tubes et y'a que trois étiquettes ! Pire encore, dans la panique, sur mes trois neurones, un décède, un autre perd connaissance, le dernier, hyper tendu tente de faire le point.... A ca fuse il fait des aller retour dans une petite case... Tout à coup mon dernier neurone en usage capte une nouvelle information : en haut à droite : couleur tube... Il compile les informations : BRI, BLE, PIS... en clair pour les non initiés : ROUGE, BLEU, VERT, il tournoie, virevolte, et s'arrête net prêt à calancher : Rouge, j'ai piqué deux tubes rouges, Bleu SIRENE D'ALARME (comme dans les films d'action, dans un sous marin quand une attaque est sur le point d'avoir lieu ou qu'il y a eu une avarie, ca gueule, ca clignote....) J AI PAS DE TUBE BLEU, haussement du volume de l'alarme sous marinesque : Vert... J AI PAS DE TUBE VERT.... "Valérie ???!!" C'est l'infirmière à la bourre qui avait besoin d'aide y'a 10 minutes... "Valérieeeeeeeeeeeeeeee...... les étiquettes, elles ne correspondent pas aux tubes que j'ai piqués...." et là, un peloton d'exécution se met en place...
mon neurone à les mains liées dans le dos, 6 tireurs d'élite en face, 6 tireurs d'élite à face de Valérie, sourient pendant qu'un septième toujours à face de Valérie leur dit : FEU... ! "Quoi ?! T'as pas vérifié les tubes avant de partir...." et les six balles des six tireurs d'élite à face de Valérie explosent en atteignant simultanément le cœur tachycarde de mon neurone par un même point d'entrée ! Ben non.... La queue entre le jambe (notez qu'en urologie, chez les sujets males, c'est bien là qu'on la trouve... désolé pour ma trivialité...) mes trois neurones hors d'état de tout...
Ben voilà la leçon. Autant j'aurais vérifié la prescription si j'avais du injecter, là j'ai mal fait mon travail, quoi que même si j'avais vérifié, j'n'aurais rien vu, puisque sans les étiquettes on ne peut pas connaitre la couleur et le nombre de tubes (sauf peut être quand on est pro depuis des lustres... ou qu'on codifie régulièrement des prélèvements), j'ai bêtement fait confiance à une future collègue diplômée, elle. Je retiens donc à jamais ceci : "il ne faut jamais faire confiance à personne en service (je sais même ailleurs, faut pas suivre quelqu'un même s'il vous offre des bonbons...), même dans l'urgence, puisque c'est la responsabilité de celui qui fait qui est engagée... Notez que l'avantage dans l'histoire, c'est que je n'ai pas mis le patient en réel danger. Il était plutôt bien portant, facile à piquer, et pas anémié. Ca aurait pu être un papy à l'article de la mort, anémié, aux veines collabées que j'aurais charcuté sans set de protection, sans masque à visière, que j'aurai pu faire souffrir, simplement parce que j'aurais mal fait mon boulot.
LA CONFIANCE D'ACCORD,
MAIS C'EST QUAND MEME CE QUI FAIT LES COCUS...
Jovette-Alice Bernier (Romancière Québequoise 1900-1981)